A l’occasion d’une rencontre de la communauté « J’entreprends en Biovallée » au siège du Groupe Sols à Livron-sur-Drôme, nous avons souhaité questionner les dirigeants membres de la communauté sur l’adaptation de leurs entreprises au changement climatique. Voici ce que nous avons retenu de ces échanges.
Face à l’accélération du changement climatique, les entreprises sont confrontées à des défis inédits qui bouleversent leurs modes de fonctionnement, leurs investissements et leur rapport au territoire. L’adaptation n’est plus une option, mais une nécessité, tant les impacts physiques (inondations, canicules, sécheresses) et réglementaires (loi ZAN, exigences de perméabilité, contraintes foncières) s’intensifient. Michael Pelissier, président du Groupe Sols, témoigne : « À 15 jours de déposer un permis de construire, la zone a été jugée inondable par les services de l’État. Il a fallu relever de 40 cm le projet, utiliser plus de gravier… Résultat : des études bientôt plus chères que les travaux, sur un projet de 220 M€ ! ». Ce type d’aléa, désormais fréquent, illustre la nécessité d’intégrer l’adaptation dès la conception des projets, sous peine de surcoûts majeurs et de remises en cause brutales. Jean-Pascal Abdelli, directeur d’Elixens France, confirme cet impératif d’adaptation : « le changement climatique impacte très directement nos métiers : les zones de culture des plantes évoluent rapidement – moins de lavande en Drôme, peut-être demain de l’Aloe Vera – et la pénibilité du travail augmente à certaines périodes. On doit absolument le prendre en compte ».
Coopération, participation, co-construction
Face à ces défis, la coopération entre acteurs apparaît comme un levier incontournable. Les entreprises, collectivités, aménageurs, associations et usagers doivent apprendre à travailler ensemble, dès l’amont des projets. « On voit bien ce qui se passe avec l’autoroute à Castres. Si on n’est pas alignés, à la fin, tout le monde est à la rue », résume Michael Pelissier. La co-conception des espaces, impliquant usagers et salariés, permet d’identifier des solutions adaptées aux besoins réels et de renforcer l’adhésion autour des projets. Les chantiers participatifs, bien que parfois difficiles à organiser, créent un sentiment de fierté et d’appartenance : « Un signe de fierté pour les salariés qui ont participé » selon Hervé Dupied, porteur de la méthode Terrabella conçue pour accompagner les entreprises dans l’adaptation de leurs sites d’activité. La réussite de ces démarches suppose un accompagnement, une coordination efficace et, souvent, un soutien financier. Les dispositifs de subventions, bien que nombreux, restent complexes à mobiliser : « C’est souvent beaucoup de travail pour aller chercher les 20 000€ de subvention », regrette Hervé Dupied. Pour mieux naviguer dans cette complexité, le Groupe Vincent, représenté par sa présidente Emilie Fraisse, est accompagné par la Banque Publique d’Investissement (BPI) pour adapter ses 40 sites en France aux aléas climatiques.
S’inspirer de la nature
L’adaptation passe aussi par l’intégration de solutions fondées sur la nature (SafN), qui offrent des réponses à la fois efficaces et durables. Des entreprises membres de la communauté « J’entreprends en Biovallée » proposent déjà ce type ce solution : la végétalisation des espaces et la perméabilisation des aménagements pour le Groupe Sols ; la création de refuges de biodiversité ou l’utilisation de gabions comme boucliers thermiques pour Aquaterra Solutions. « Les marchés intègrent presque systématiquement des clauses sur la végétalisation », observe Jean-Luc Liotard de l’entreprise de travaux public Liotard TP. Ces solutions fondées sur la nature présentent l’avantage d’être résilientes, peu consommatrices de ressources et génératrices de co-bénéfices : amélioration du confort d’été, gestion des eaux pluviales à la parcelle, valorisation de l’image de l’entreprise, voire création de nouveaux marchés. Toutefois, leur déploiement soulève de nouveaux défis, notamment en matière d’entretien : « Ce qui m’inquiète, c’est l’entretien. Pour la déviation du Teil, c’est 1M€ rien que pour la végétalisation. On a une obligation de résultat pendant un an après la réception des travaux, mais après..? », souligne Michael Pelissier. La maintenance et la gestion sur le long terme doivent donc être anticipées dès la conception.
Quelles dynamiques collectives autour de l’adaptation en Biovallée ?
La coopération territoriale paraît essentielle pour mutualiser les ressources, partager les bonnes pratiques et interagir collectivement avec les pouvoirs publics. La forme et le contenu que pourrait prendre cette coopération sur notre territoire restent à définir : création de catalogues communs de solutions, mobilisation conjointe pour l’obtention de subventions, voire constitution d’une coopérative de la régénération écologique impliquant entreprises, collectivités et associations du territoire. Cette dynamique collective permettrait de dépasser la logique du « moins-disant » pour privilégier la qualité, l’innovation et la robustesse. Elle favoriserait aussi l’émergence de filières locales, la relocalisation de l’économie et l’ancrage territorial des entreprises.
L’adaptation au changement climatique ne peut donc plus être pensée comme une démarche isolée ou purement technique. Elle exige une transformation profonde des modes de faire, fondée sur la coopération entre acteurs et l’intégration de solutions d’adaptation fondées sur la nature. Les entreprises qui sauront s’engager dans cette voie, en mobilisant leurs parties prenantes et en innovant collectivement, transformeront une contrainte en opportunité de développement et de différenciation sur leurs marchés. Comme le résume Philippe Lagrange, co-président de l’association Biovallée : « Nous devons faire la trace, toujours avoir un temps d’avance ».