Lyliane Orand, administratrice de l’association des acteurs de la Biovallée introduisait cette soirée : « Ces 2èmes Entretiens ont pour titre « quelle culture alimentaire en Biovallée ». Vous m’accorderez que nous n’avons pas attendu cette soirée pour mettre en place des façons de vivre, d’accéder à une alimentation de qualité, de favoriser des circuits courts et bios, de s’assurer de leur qualité gustative et de leur impact sur l’environnement. Depuis longtemps, ici en Biovallee, nous sommes attentifs à ces sujets. Et donc, comment pouvons-nous faire perdurer un système toujours menacé par la grande distribution. Comment faire venir dans ce mode de vie les personnes qui en restent éloignées, comment aller plus loin, et comment aller plus loin avec les acteurs de la Biovallée ? C’est sur ces sujets élargis à l’extérieur du territoire Biovallée, à la France entière et plus encore, a ses politiques publiques que nous souhaitons nous pencher ce soir.
Pour cela, nous proposons à Hugues Vernier, responsable du service agriculture à la CCVD qui brossera un tableau sur l’historique de la Biovallée en matière d’alimentation, Dominique Paturel a fait partie d’un groupe de travail lors des Etats Généraux de l’Alimentation et son point de vue apportera un éclairage intéressant sur les enjeux démocratiques de l’alimentation, Florent Dunoyer, directeur de la Carline, expliquera comment fonctionne cette SCIC avec les acteurs locaux et Célia de Lavergne, co-rapporteure des Etats Généraux de l’Alimentation et députée qui reviendra sur les Etats Généraux de l’Alimentation, ce qui permettra de bénéficier de ses réflexions, de son approche sur le sujet et de comment on peut faire avancer notre territoire. Je suis sûre que vos questions s’attacheront à permettre de compléter chacun de leurs points de vue ».
Hugues Vernier, technicien et animateur agricole de la Communauté des Communes du Val de Drôme expose le processus de mobilisation des acteurs du territoire comme la longue histoire ce cette synergie dans la vallée. La Communauté des Communes du Val de Drôme s’intéresse très tôt à l’agriculture afin de donner du sens et de la cohérence à cet engagement et aussi une vision à long terme. Cet engagement depuis 20 ans est l’histoire d’une dynamique et d’innovations : agir pour des circuits courts, préserver l’environnement, ce qui donnera 32% d’agriculteurs en Bio en 2017, contre 17% en Drôme et 7% en Rhône-Alpes et 5 % en France. Aujourd’hui la démarche et connue et reconnue, même si elle est plus connue à l’extérieur de la Biovallée. Si les démarches initiales ont été portées par les néoruraux (1970-1990), elle est maintenant aussi portée par les agriculteurs locaux (1990-2017) et aboutit en 2017 à 80% de bio en restauration collective. Certes moult problème se sont posés comme à la MFR de Divajeu : problème du prix, 15 agriculteurs producteurs investis, mais 15 ans en Bio… D’où l’idée de développer certaines productions, organiser des formations et gérer l’approvisionnement, participer à l’accompagnement des cuisiniers, associés produits locaux et bios, changer les mentalités pour soutenir le local, aider à l’installation de paysans, se remettre en cause et aller voir ailleurs des expériences et initiatives différentes afin que les mangeurs s’impliquent dans une démarche responsable.
Voici un état des lieux, alors comment les EGA (Etats Généraux de l’Alimentation) peuvent-ils renforcer l’agriculture ?
Célia de Lavergne, pointait le travail effectué ces 5 derniers mois : Après cinq mois d’existence, les états généraux de l’alimentation se sont conclus, jeudi 21 décembre, sur les déclarations du premier ministre, qui en avait donné le coup d’envoi le 20 juillet… Nous avons pour habitude de nous tourner vers l’état. Prenons nous en mains collectivement et travaillons sur ces sujets. Nous ne pouvons accepté le salaire des agriculteurs et travaillons à partir du produit final et créons de la valeur selon la démarche. Comment garantir une alimentation pour tous et accessible. Ils ont constitué un temps inédit de réflexion partagée et de construction collective de solutions concrètes, pour assurer la souveraineté alimentaire de la France, promouvoir des choix alimentaires favorables pour la santé et respectueux de l’environnement, réduire les inégalités d’accès à une alimentation durable et de qualité. Le projet de loi vise d’abord à améliorer l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Assurer la souveraineté alimentaire passe notamment par la préservation de la capacité de production agricole et la juste rémunération des agriculteurs. Le processus de construction du prix payé aux agriculteurs est inversé et s’appuie désormais sur les coûts de production des producteurs. Le contrat et le prix associé seront proposés par celui qui vend et assurer une meilleure répartition de la valeur créée entre les acteurs. La réouverture des négociations est facilitée en cas d’évolution des coûts de production, sur une durée raccourcie et fluidifier les renégociations afin de ne pas rester sur des situations de blocage. Le seuil de revente à perte est relevé à hauteur de 10% et les promotions encadrées (là je vous ai perdu…) afin de lutter contre la déflation des prix et assurer une juste répartition de la valeur. La lutte contre les prix abusivement bas est élargie et renforcée et mettre fin à la guerre des prix qui paupérise les producteurs et fragilise des pans entiers de l’industrie agroalimentaire française. La médiation agricole est facilitée et renforcée, les missions des interprofessions sont élargies afin de faciliter le traitement des litiges et fournir un appui méthodologique aux producteurs et aux organisations de producteurs. Ce sont de nouvelles manières de travailler, voir la viabilité de certaines filières et faire évoluer le modèle agricole. Comme un parlement de l’alimentation, il faut la présence de tous les représentants. Le projet de loi qui sera présenté le 31 janvier (feuille de route pour le Salon de l’agriculture) vise ensuite à renforcer la qualité sanitaire, environnementale et nutritionnelle des produits pour une alimentation saine, de qualité et durable ( 30 % en bio en 2022 ). Il traduit la volonté du Gouvernement de porter une politique alimentaire favorisant des choix qui préservent le capital santé de chacun et le capital environnement de tous. En matière de commercialisation de produits phytosanitaires, les activités de vente et de conseil sont séparées et le dispositif des certificats d’économies des produits phytopharmaceutiques, sécurisé. Les rabais, ristournes et remises lors de la vente de ces produits sont interdits afin de réduire la dépendance de l’agriculture aux produits phytosanitaires. Les pouvoirs d’enquête et de contrôle des agents chargés de la protection de la santé, de la protection animale et de la sécurité sanitaire des aliments sont renforcés pour accroître l’efficience des contrôles. Le délit de maltraitance animale est étendu et les peines, doublées. Les associations de protection animale peuvent se porter partie civile dans les cas réprimés par le code rural et de la pêche maritime et constatés par un contrôle officiel pour renforcer les pouvoirs de sanction dans le domaine du bien-être animal. Le projet de loi vise enfin à permettre à chacun d’accéder à une alimentation saine, sûre et durable (atelier à Chabeuil le 9 mars). Le gouvernement fait de la politique de l’alimentation un moteur de réduction des inégalités sociales et de valorisation de normes sociales. Nous allons muscler les parties sociales et environnementales et équitables (éducation à la consommation). Questionner : ce que veut le consommateur. La restauration collective publique devra s’approvisionner avec au moins 50% de produits issus de l’agriculture biologique, locaux ou sous signes de qualité à compter du premier janvier 2022 afin de faire de la restauration collective un levier d’amélioration de la qualité de l’alimentation. Enfin le gaspillage alimentaire est réduit dans la restauration collective par la mise en place d’un diagnostic obligatoire et le don alimentaire, étendu à la restauration collective et à l’industrie agroalimentaire pour lutter contre la précarité alimentaire et limiter les conséquences environnementales du gaspillage. La prise de conscience est importante.
Dominique Paturel, chercheure à l’UMR Innovation Supagro-INRA Montpellier, travaille sur les questions d’accès à l’alimentation des ménages les plus modestes. Dans le cadre du Réseau Rural Français, elle coordonne le groupe de travail « Agriculture et nutrition ». Elle est l’auteure de plusieurs communications sur le sujet, dont « Aide alimentaire et accès à l’alimentation ». Elle pose les enjeux alimentaires comme des enjeux démocratiques. Et positionne l’aide alimentaire comme une fonction économique imaginée à la fin de la guerre (2 septembre 1945) pour avaler les surplus : écouler les stocks aidés par la Politique Agricole Commune au lieu du Fond Social Européen. Après près de trente ans d’existence, à savoir une politique des marchés, une politique de structure et une politique de financement – peut être esquissée. Les résultats de la politique agricole commune sont mitigés : la PAC a répondu à trois des objectifs fixés en permettant de fournir aux consommateurs européens des produits alimentaires à des prix raisonnables, d’accroître la productivité et d’assurer la sécurité d’approvisionnement dans beaucoup de domaines. L’organisation commune des marchés (OCM) et la garantie des prix ont favorisé une telle croissance des productions et celles-ci ont abouti à l’existence, parfois de manière permanente, d’offres supérieures à la demande. En effet, le volume de production a augmenté, entre le début des années 1970 et la fin des années 1980, de 2 % par an alors que la consommation interne ne progressait que de 0,5 % par an. Cette tendance a conduit à la création d’excédents qui, au début des années 1990, sont évalués à 30 % pour le sucre, 21 % pour les céréales, 12 % pour le beurre, 6 % pour le fromage, 6 % pour les légumes. La France inspirée et influencé pour beaucoup les pays européens : projet de recherche, EGA (Etats Généraux de l’Alimentation). En 2010 l’aide alimentaire est une co-activité agricole. Et en 2016 on vote la loi contre le gaspillage alimentaire. Les années 2000 voient une aide alimentaire à la personne pour 4, 8 millions de Français et une idée de la santé publique et alimentaire comme ‘hygiène sociale’. La reconnexion entre agriculture et alimentation, depuis le début des années 2000 en particulier, émerge comme un terreau particulièrement propice à la construction d’une nouvelle citoyenneté, comme l’illustrent les travaux récents sur la démocratie alimentaire. Introduit par Tim Lang dans les années 1990, le concept de « démocratie alimentaire » est posé au départ comme une façon de faire contrepoint au pouvoir exercé par les firmes internationalisées de l’agroalimentaire, contrôlant l’alimentation et les consommateurs dans un contexte où les Etats se désengagent de cet enjeu. L’idée est alors de donner aux citoyens l’opportunité de reprendre la main sur leur alimentation, sur la façon dont elle est produite et distribuée et in fine sur l’agriculture. Ici manger ensemble semble plus important que la qualité de la nourriture. L’universitaire N. Hassanein (2003) part en effet du principe que la problématique de la durabilité implique des conflits de valeurs ne pouvant se résoudre par une autorité indépendante. La démocratie alimentaire doit alors permettre de la définir socialement et politiquement. Il faut prendre en compte les agriculteurs et leurs ressources, des populations incapables d’accéder à l’alimentation…La loi peut elle faire que tout soit pris en compte ? L’exemple du Nutella (Une promotion de 70% sur des pots de la pâte à tartiner Nutella, proposée jeudi par l’enseigne Intermarché vire à l’empoignade dans plusieurs magasins. «Les gens se sont rués dessus, ils ont tout bousculé, ils en ont cassé. C’était l’orgie!», a décrit à l’AFP une employée d’un Intermarché à Forbach (Moselle), préférant rester anonyme. «On était à deux doigts d’appeler la police», a-t-elle soupiré, NDLR). Nous devons faire un travail sur la précarité et les impensées : comme le présupposé pauvreté égal précarité ? L’aide alimentaire incontournable ? Le jardinage demande des pratiques alimentaires d’où des apprentissages à mettre en place ? La consommation de masse depuis 40 ans ? Quel recyclage du gaspillage ? L’aide alimentaire, intéressante, est elle une variable d’ajustement ? L’alimentation reste un marqueur social. L’alimentation pose un problème public depuis 5 à 6 ans. ( Tandis que le monde compte 800 millions de personnes qui souffrent de faim chronique, plus de 70% de la population adulte sont obèses ou en surpoids dans certains de nos pays riches). Et un problème de démocratie. Dans les quartiers les Etats Généraux de l’Alimentation personne connaît.
Florent Dunoyer, directeur de la Carline, expliquera comment une épicerie, d’abord associative, avec 14 premières années que des bénévoles répond à la demande de 500 familles dioises adhérentes et ce depuis 30 ans. Nous avons créé des emplois durables et qualifiés. 2008-2009 a vu un changement de locaux, l’investissement de 200 personnes, le passage en SCIC, d’où cette cogestion avec les 30 producteurs, les 300 consommateurs et les 10 épiciers. La SCIC est un choix très fort : but non lucratif, bénéfices réinvestis, choix précis des produits vendus (locaux, bio, saison, éthique, etc…). Ici les consommateurs sont aux commandes, pour nos 10 (11 personnes) équivalent temps plein l’écart de salaire est de 1 à 2, c’est un équilibre social. Si la part de l’alimentation dans le budget d’un ménage était de 40% en 1960, 20 % en 2014, elle n’est plus que de 15%. Au Royaume Uni et aux Etat Unis elle est tombé à 5%. L’alimentation disparaît au profit d’autres consommations (logement-chauffage 20 à 40%, transport 15%, éducation 6%, loisir-culture 3 à 9%, santé 3 %, habillement 3 à 7%, chiffres INSEE, NDLR). Alors quid de l’alimentation durable ? Saine et de qualité ? Le consommateur est il encore le maître de ses choix ?
Jean Pierre Brun, actuel président de l’association des acteurs de la Biovallée concluait cette soirée de qualité (malgré le départ de la députée pour prendre le TGV pour l’Assemblée Nationale), suivi par une centaine de personne et suivi d’un buffet bio et local préparé par Cookin Love de Menglon. L’entreprise dioise et Benjamin Escamez, faisait découvrir la puissance des aliments crus, biologiques, vegan ou sans gluten…
Claude Veyret
D’après les notes de Lyliane Orand