Le transition écologique et sociale passe par l’évolution des façons de consommer. Il existe de nombreuses initiatives en ce sens dans la vallée de la Drôme, mais l’épicerie bio et locale dans le Diois, La Carline, révèle grâce à ses décennies d’existence, le rôle qu’un acteur de la société civile peut jouer. Plus encore, sa trajectoire montre qu’un tel acteur peut également participer au changement des modes de production et ce à l’échelle territoriale. Plongez dans l’histoire de La Carline vu par le monde de la recherche.
[Episode 5 sur 5 de la série : la transition agroécologique dans la vallée de la Drôme vue par les chercheurs]
D’un groupement d’une dizaine de consommateurs…
En 1989, La Carline c’est une dizaine de personnes qui se réunisse pour s’approvisionner en produits biologiques indisponibles localement. D’ailleurs à cette époque, ça ne s’appelle par encore La Carline. Ce n’est que l’année suivante que, face aux succès, les fondateurs décident de monter une association afin de promouvoir la consommation de produits biologiques.
L’association va très vite s’intéresser aux enjeux agricoles et faire de la promotion de l’agriculture paysanne et du soutien aux agriculteurs du milieu rural, un de ses objectifs. La présence d’agriculteurs au sein de l’association, non pas comme producteurs mais en tant que consommateurs, est à l’origine de l’émergence d’un espace de dialogue entre consommateurs et producteurs qui conduit au sein de l’association à la prise en compte de la dimension sociale de son choix de consommation.
… à un acteur territorial actif sur les dynamiques agricoles
Progressivement La Carline se rend compte de son rôle territorial. Dans les années 1990 et grâce à l’invitation d’Agribiodrôme, elle prend conscience qu’elle peut porter la parole des consommateurs bio et que celle-ci peut avoir une influence sur les filières locales (attribution du label bio par exemple). Dans les années 2000, La Carline se lance dans une activité militante avec des actions de sensibilisation dans le domaine de l’écologie et lance en collaboration avec d’autres acteurs les Rencontres de l’écologie au quotidien (voir affiche de la 5ième édition ci-contre).
La Carline participe également à la structuration de filières agricoles pour la souveraineté alimentaire du Diois, sur les fruits et légumes et sur la viande par exemple. Elle décide de changer son statut associatif en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) permettant ainsi à chacun de faire ses courses à l’épicerie sans avoir besoin d’être adhérent. Petit à petit dans les années 2010, La Carline se positionne comme un acteur qui propose un projet de société et comme un acteur actif sur les questions agricoles à l’échelle territoriale. Cette position, non initialement recherchée par La Carline, est le fruit de son évolution tant autour de ses actions que de ses valeurs, mais aussi des attentes des autres acteurs du territoire (du monde agricole, intercommunalité) et de la légitimité qu’ils lui donnent pour agir en ce sens durant ces années-là.
Enseignements généraux pour la transition agroécologique d’un territoire
Un acteur peut devenir territorial alors même qu’il ne s’agit pas de son ambition initiale : ici une initiative personnelle de quelques consommateurs bio se transformant en une vingtaine d’années en un acteur du projet de développement agricole du territoire, soutenant et structurant l’agriculture bio et la production locale.
A l’échelle d’un acteur, les choix de statuts et de gouvernance ont un impact sur son rôle et sur la perception de ce rôle par les autres acteurs : la présence d’agriculteurs en tant que consommateurs a permis d’intégrer des enjeux sociaux et agricoles aux missions d’un groupement de consommateurs. De même, le passage d’un statut associatif à une SCIC avec gouvernance partagée a permis de gagner en légitimité auprès des pouvoirs publics et des acteurs agricoles.
A l’échelle d’un territoire, la présence d’espaces de confrontation entre acteurs favorise le positionnement des acteurs et peut engendrer des reconfigurations dans l’ensemble du système : la confrontation de points de vue entre acteurs permet à chacun de définir son rôle. Plus encore, cela peut permettre à un acteur de se rendre compte du rôle potentiel ou du rôle que les autres acteurs attendent de lui.
Pour en savoir plus
- Synthèses écrites par l’association Biovallée
- Delclaux J. (2023), De nouvelles relations entre producteurs et consommateurs, le rôle territorial d’une épicerie locale dans le développement de l’agriculture bio et des circuits courts, Pôle des Savoirs, Association Biovallée, 6p.
- Savoirs scientifiques
- Bui, S. (2015) Pour une approche territoriale des transitions écologiques. Analyse de la transition vers l’agroécologie dans la Biovallée (1970-2015). Thèse, AgroParisTech, 503 p.
- Pradels N.H., Grison J-B., Koop K., Landel P-A., (2022) Initiatives citoyennes de transition soutenable et diffusion : formes et fonctions de la mise en réseaux territorialisés. Développement durable et territoires, vol. 13, n°1.
- Savoirs locaux
- Luangkhot K. Fontana C. (2021) La Carline, 30 ans de bio dans le Diois, La Bande Sonore et La Carline, Documentaire vidéo, 1h9min6s, diffusé le 28 juin 2021.